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![]() "Tu comprends, l'atlantisme dissimule une domination économique qui tout en cherchant une objectivation morale risque de prendre les bénéfices d'un impérialiste de fait". Etait ce une nouvelle forme de séduction ? Je reconnaissais bien les quelques lignes lues dans l'inimitable quotidien du soir et tout en me promenant sur le visagne de mon interlocutrice avec d'autres idées en tête que les équilibres géostratégiques, j'entendis comme échos. "Les ricains, qu'on le veuille ou non, ça reste les plus forts". Quel bonheur, entre les escargots et la choucroute d'avoir une traduction simultanée. Le garçon vint proposer la carte des desserts. Mon regard fut distrait de celle qui me charmait de son érudition et se fixa sur un symbole fort de la gastromie "la bombe glacée". Encore un miracle de la cuisine, qui comme le poéte voit au delà de l'horizon. L'association de l'explosion et de la congélation. Il n'y a pas de doute, il fallait rompre la glace. Je la rompis donc en suggérant quelques idées originales et quelques rapprochements audacieux. La guerre au Kosovo tout le monde en parle, mais personne ne la voit. le correspondant de guerre est une denrée qui a disparu avec la guerre electronique et des medias. On nous montre des cortèges de réfugiers, des camps, des explosions fantomatiques dans la nuit, des hélicoptères qui atterrissent et c'est tout. La vraie guerre, on en témoigne mais elle demeure malgré ses atrocités toujours au conditionnel. A l'instar de la bombe glacée, existerait-il des bombardements glacés ? Résumons l'action. Une alliance militaire à buts purement défensifs, constituée il y a cinquante ans pour prévenir les risques d'agression en provenance de l'est sur l'Europe de l'ouest et n'ayant jamais tiré un seul coup de feu pendant toute la guerre elle aussi dite froide, conteste militairement la souveraineté d'un état dans ces affaires intérieures au nom de la morale et use pour la première fois du droit d'ingérence fondé sur le droit d'assistance à peuple en danger . Qu'aurait pu répondre la communauté des états au sein de l'ONU face à une si profonde révolution. Les Espagnols de 1936 en rêvent encore. Au premier coup de missile la seule personne morale du droit international volait en éclats. L'Etat puisqu'il faut bien l'appeler par son nom était planté au poteau de couleurs. Douze bombes dans la peau et l'affaire était entendue. Qui ne se serait pas satisfait de cette éviction de l'état tyranique et tortionnaire, de l'imposition des droits démocratiques, de la réaction occidentale que tout le monde attendait depuis si longtemps. Condorcet lui-même écrivait que l'état et la nation n'étaient que des étapes qui menanient les peuples vers l'humanité. Enfin l'humanité prenait un sens. Et je pense que cette humanité a vraiment existé, un instant fugace, ou dans la conscience collective de ceux qui voyaient les camps des kosovars en fuite. Mais la guerre n'a jamais d'objets moraux comme nous le rappelle Machiavel. Et celle ci pas plus qu'une autre. L'enjeu de cette guerre est entre autres d'assoir une certaine doctrine militaire, une doctrine quantitative qui grâce à l'avion, au satellite et au brouillage électronique pense réduire rapidement les forces de l'ennemi. D'une rationalité parfaite est né la bombe glacée et chirurgicale qui larguée de très hautes altitudes risque de devenir une bombe toute classique qui tuent les civils qu'on cherchait à protéger. Le sens d'une action échappe toujours aux intentions premières dés qu'elle entre dans le jeu des interactions du milieu dans lequel elle est introduite. Face à la haine nationaliste d'un dirigeant qui n'aspire qu'au maintien de son pouvoir personnel, nous n'avons découvert que la logique froide d'une doctrine militaire qui n'a même pas pris le temps de comprendre le milieu dans lequel elle allait agir. Les réfugiers eux-mêmes sont devenus une donnée stratégiques, relais d'information pour sensibiliser des opinions publiques en proie au doute, bouclier pour protéger la dictature. Quant aux buts de guerre, qu'en reste-t-ils face au désastres humanitaires ? Tout a été concassé. La guerre pour les hommes, celle qu'on pouvait approuver, celle qu'on approverait toujours est redevenue la guerre des hommes, une de plus. En tirera-t-on quelques sagesses ? Ne rêvons pas. Si nous comprenons déjà que les doctrines militaires en vigueur ne sont pas les meilleures, nous nous éviterons les déconvenues encore plus graves qu'il nous faudra probablement un jour résoudre face à la puissance nucléaire de la Corée du nord. Quant aux kosovars ne deviendront-ils pas les nouvelles victimes des compromis bâtards. La bombe glacée finit toujours par fondre et les douces amies par partir alors que je me demande seul, si nous ne sommes pas comme les porcs de Virginie que l'on menait à l'abattoir. ![]() |