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![]() L’honneur bourguignon est foulé du pied. Marc Meneau a perdu une étoile au Michelin. Même un prestigieux quotidien du soir en langue française s’en est fait l’écho dans son numéro du mercredi 29 septembre 1999. Quelle importance cela revête-t-il me répondra-t-on. Aucune bien-sûr. Rien n’a jamais d’importance, les faits divers et anecdotiques encore moins que les autres. Les événements anodins ont cependant parfois leur force symbolique. Le Michelin est une institution sérieuse. Les sanctions qu’il inflige aux prestigieux restaurants qu’il examine ne sont que très rarement issues des jalousies inconsidérées d’un cerveau vengeur. Les raisons de ce blâme sont d’autant plus intéressantes qu’elles en disent plus long sur l’époque que sur le guide frappé de bibendum. Au lecteur affiné tel un vieux Lille mûri de longue date, les motifs de cette rodomontade apparaissent dans toute leur surprenante clarté. L'excès de générosité, voici le crime. La remarque peut surprendre, surtout en Bourgogne. Faut-il réformer l’opulence bourguignonne, standardiser les huîtres en gelée, mettre au pas la richesse de la terrine d’écrevisses aux truffes, calibré le vol-au-vent à la bourgeoise à la norme calorique et à l’esthétisme d’un repas de cure thermale très faussement extrême orientalisé? Pire, la cuisine de Marc Meneau serait-elle passée de mode avant que celles de Loiseau, de Lameloise ou de Lorain ne la suivent ? S’il fallait répondre par l’affirmative à cette interrogation, c’est tout un patrimoine artistique qui serait en péril. La cuisine est un art, et les arts ne connaissent pas de mode. Ils recherchent, ils s’affrontent à de nouvelles formes, ils lient nos mains à de nouvelles vérités mais jamais ils ne se plient à une mode. C’est notre temps qui aime se plier à la mode. C’est la correction de l’époque qui est effroyable. Il y avait un politiquement correct, il y avait que l’on veuille ou non un intellectuellement correct, il y maintenant un culinairement correct. Où se trouve la liberté de création, de réflexion voire d’expression. L’idéologie du normalisé s’infiltre partout. Elle caricature les idées les plus nobles, elle les détourne à son profit. Le XXème siècle fut celui de la tuerie organisée, deviendra-t-il aussi celui du retour fracassant des sophistes ? La transparence tant réclamée est surtout le moyen le plus commode de réduire nos pensées et nos goûts au bon vouloir du consensus. Cela fait bien longtemps que je ne me sens plus libre de dire, d’exprimer les idées qui ne sont plus celles de tout à chacun, les idées issues de la critique et qui remettent souvent en cause l’opinion commune. Il faut de nouveau se cacher, se censurer. Moineau devra-t-il se censurer, faut-il même qu’il se censure? A la bonne école de Descartes, j’appris que la générosité était la racine carrée de la vertu. Mais la vertu est une valeur qui n’a plus vraiment cours. Elle est don, elle est exubérance, elle est foisonnement de création. Maintenant tout survit à l’aune de la mesure, du calibré et du profitable rapidement, tout survit à l’aune de l’individualisme mesquin. Les divertissements sont médiocres, le déversement des images télévisées est accablant quant aux consécrations mediatico affairistes sur fond d’audimate de l’ignarde vulgarité, que dis-je, de l’obscène démagogie d’un pseudo comique sévissant sur le premier canal télévisuel français, elle n’est que le signe patent d’une réduction concertée du sens critique moyen. Je ne pense plus, donc je consomme. Ce qui est vrai pour la France l’est tout aussi pour les autres nations développées. Le commentaire serait superflu pour les Etats-Unis comme pour le Japon. Quant à l’Europe, il suffit de re médiatisé le fascisme pour que l’Autriche le replace en position de gouvernement. Tout n’est plus que stratégie d’image. Qui gouverne encore réellement sur le vieux continent. Et qui gouverne encore en Chine alors que le vieux Pékin des Hutong (petites ruelles populaires) est détruit, et les petites gens déplacées sinon déportées en masse vers des périphéries lointaines; certainement plus le peuple. Le contrôle des masses fut toujours le souci majeur des puissants. Aujourd’hui les puissants réclament l’abêtissement de la masse consumériste. Les moyens alloués à cette entreprise sont impressionnants. Ils idéologisent tous les secteurs de la société, les collaborateurs du Michelin comme les autres. Ils s’en défendront probablement, ils s'argumenteront de faits objectives. Mais la vérité est là: la générosité en cuisine n’est plus reconnue. La liberté de sortir des chemins battus n’est plus de mise. Curieuse société qui laisse ses enfants découvrir la nourriture dans une chaîne de salles à manger au nom écossais et qui retire une étoile à «l’Espérance» de Vezelay. Je souhaiterai simplement rappeler aux pèlerins de tous les guides qu’à la sortie de ce restaurant il ne sera jamais inutile de monter jusqu’à la basilique consacrée à Marie Madeleine. Avant de rentrer dans le sanctuaire, ils pourront découvrir le tympan. Non celui de Viollet le duc dessiné probablement un soir d’ivresse, mais celui du XII° représentant un Christ en gloire. Qu’ils soient très attentifs au linteau. A gauche se trouvent de petits personnages très respectueux, ils font leurs offrandes. A droite se trouvent d’autres petits personnages. L’ordre est bien moins parfait. manifestement ils se battent. La quête de vérité n’est pas une affaire de conformisme. Le simulacre et le bien pensé ne mènent pas à la lumière divine. les pharisiens n’ont jamais été les élus. «L’espérance» porte si bien son nom qu’elle nous fait entrevoir, pour une simple question d’étoile que les chemins de l’art et de la liberté sont encore ouverts même si la plupart des routes sont bloquées comme le disait mon ami philosophe par ces porcs de Virginie que l’on mène à l’abattoir. ![]() |